L’Âge d’or d’Arfeuilles
La période allant de 1820 à 1914 fut incontestablement l’âge d’or pour Arfeuilles. Si, du point de vue administratif, elle ne fut ni Sous-préfecture, ni Cheflieu de canton, la commune fut la plus peuplée et la plus active du point de vue économique de toute la Montagne Bourbonnaise. Avec une moyenne de 100 à 140 naissances par an, le nombre d’habitants augmenta rapidement pour atteindre et dépasser 3 500 vers 1870. A cette date, le pays vivait en autarcie quasi complète. La campagne fournissait les denrées alimentaires, une bonne partie de la matière première textile (chanvre, lin, laine), le bois, la pierre… Au fil du Barbenan, les moulins à grain et à huile, les ateliers de transformation des textiles, les tanneries, les scieries et les forges occupaient une nombreuse main d’œuvre. La densité de la population de la Montagne Bourbonnaise était près du triple de la moyenne française. Avec quatre à cinq hectares de propriété, deux vaches, deux chèvres, une basse cour, deux porcs par an, et un complément artisanal (tissage, saboterie, charbon de bois, pour les hommes, tricot et filature pour les femmes), on arrivait à élever cinq enfants, sans la moindre aide sociale. L’artisanat et le commerce étaient florissants. Un pharmacien, deux médecins, trois notaires, un curé et quelques vicaires constituaient une bourgeoisie active.
L’importance des travaux réalisés à cette époque témoigne de la richesse du pays. Ces travaux avaient commencé au début du siècle par le déplacement du cimetière. Placé depuis l’origine de la paroisse autour de l’église, il devenait trop petit et insalubre. On le transporta à la place qu’il occupe aujourd’hui. Puis ce fut l’installation du petit séminaire du nouveau diocèse de Moulins dans les locaux occupés actuellement par les gîtes ruraux. C’est au milieu du siècle que les travaux les plus importants se réalisèrent. D’abord les routes : route de Châtel Montagne à St Martin d’Estréaux traversant le bourg ; route des Espalus à la Croix du Sud empruntant un parcours totalement nouveau. On déplaça la mairie (elle jouxtait l’ancienne église). On construisit cinq écoles communales : deux dans le bourg et trois dans les hameaux. Le petit séminaire fut transformé en école libre de garçons. On construisit une école libre de filles avec pensionnat. Le passage à gué de la rivière devenant peu pratique, on construisit un pont, ce qui nécessita le rehaussement des rues y conduisant. Enfin, on remplaça l’ancienne église du XIIème siècle, victime de la haine de son curé, sur le même emplacement, par l’église actuelle. L’ancienne, trop petite, trop vétuste et déclarée dangereuse par les « spécialistes » fut interdite au culte et démolie en 1868. La nouvelle fut construite en deux temps : en premier lieu, les nefs et le clocher achevés en 1870 ; en second lieu, le chœur, achevé le 24 décembre 1882. L’usine de textile allait employer une centaine d’ouvriers et d’ouvrières, fournissant notamment le fameux drap « bleu horizon » pendant la guerre de 14-18. Un artisanat de complément se développa en relation avec l’industrie textile de Roanne (alors capitale de la bonneterie en France). Une centaine de métiers de mousseline Jacquard furent installés sur la commune aussi bien en campagne que dans le bourg. Le début du XXème siècle vit l’arrivée du téléphone, la distribution de l’eau courante et enfin, cerise sur le gâteau, l’éclairage à l’électricité des rues d’Arfeuilles (bien avant Paris) grâce à un contrat passé entre les patrons de l’usine textile, producteurs, et la commune.
Progressivement, les particuliers bénéficièrent eux aussi de l’éclairage électrique. Une ombre, peut-être, à ce tableau : la ligne de chemin de fer devant relier Paris à Lyon et à St Etienne via le Bourbonnais devait passer à proximité du bourg d’Arfeuilles (c’était normal pour une commune de cette importance). Les gens d’Arfeuilles s’y opposèrent farouchement et même refusèrent le passage de la ligne sur le territoire de la commune, craignant le départ des activités commerciales vers les villes voisines (Roanne et Vichy en particulier). Ils tolérèrent juste qu’une gare portât le nom d’Arfeuilles, associé à celui du Breuil. Cette gare, distante de sept kilomètres du bourg, était reliée à celui-ci par deux omnibus (un pour chaque hôtel) correspondant au passage de chaque train qui s’arrêtait à la gare. Il y en avait au moins quatre par jour dans chaque sens et certains de ces omnibus transportaient le courrier. Au début, c’étaient de grosses berlines tirées par des chevaux.
Plus tard vinrent les automobiles et les mini-cars. Ceci jusque dans les années cinquante. Cette situation a certes contribué à maintenir la vie en vase clos à Arfeuilles, mais, dans les années 1910, la difficulté de communication a provoqué l’exode rural (la ‘déprise agricole’) et empêché l’installation d’activités nouvelles. Mais, aujourd’hui, un siècle et demi plus tard, alors que cette ligne de chemin de fer a perdu beaucoup de son intérêt, que la gare d’Arfeuilles n’est qu’une masure, que le passage des trains n’apporte pratiquement que des nuisances, certains se demandent parfois si les anciens n’avaient pas eu raison ! Ainsi, vers 1910, Arfeuilles vivait une période de prospérité, avec, toutefois, quelques prémisses de déclin. La population n’augmentait plus. Si, pour le cœur de la Montagne Bourbonnaise, la montagne de l’Assise est un obstacle quasi infranchissable et freine les échanges avec la Côte Roannaise, il n’en n’est pas de même pour Arfeuilles. Le col de la Croix du Sud n’est plus un passage obligé. On peut le contourner par St Martin d’Estréaux, le Crozet et Saint-Bonnet-des-Quarts. En ce début de XXème siècle il s’en est suivi un mouvement à double sens. D’une part, une migration de population d’Arfeuilles vers la Côte Roannaise et sa vie moins rude, avec, en point de mire, le rêve, le mirage industriel de Roanne, et d’autre part en sens contraire, un flux de « Vin de la Côte » qui venait abreuver les quelques vingt cinq bistrots que comptait la commune d’Arfeuilles.